Читать онлайн «Les chiennes savantes»

Автор Виржини Депант

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

© Éditions Grasset & Fasquelle, 1999.

eISBN 978-2-2468-0638-7

DU MÊME AUTEUR

LES JOLIES CHOSES, Grasset, 1998.

BAISE-MOI, Grasset, 1999.

I love you, Jane,

probablement forever

A Florent.

There’s a place I try to go

So far from here

I close my eyes but I can’t

Can’t disappear...

ST. MIKE M.

MERCREDI 6 DECEMBRE

16 H 00

L’air dans le cagibi était empreint d’une chaleur sale.

Affalé sous ma chaise, Macéo, le chien de Laure qu’elle nous avait confié le temps d’un rendez-vous, suffoquait calmement. Epaisse langue rose et blanc, frémissante, toute sortie. C’était une bête énorme, à la robe flamboyante et aux grands yeux stupides et vagues.

Cathy dessinait des fleurs à pétales gigantesques sur la dernière page de son carnet d’adresses.

De la cabine adjacente, Roberta glapissait :

—Dis donc, vieux cochon, qu’est-ce que tu me racontes là ? Qu’est-ce que tu ferais avec ma petite culotte ?

Avec sa voix de fille, dissonante, trop aiguë et faussement indignée.

On entendait le type s’échauffer, marmonner des choses incompréhensibles.

Dos tourné à la porte, je faisais un mélange sur un magazine ouvert. Comme ça, si Gino entrait à l’improviste, j’avais le temps de refermer le canard et de prendre l’air de rien. L’air de la fille pas chiante qui attend qu’on la sonne pour faire son tour de piste.

Gino tenait l’entrée de L’Endo, le peep-show où je travaillais cet hiver-là. Ex-toxico, il ne ratait pas une occasion de la ramener sur le sujet : « Les drogues douces, c’est vraiment trop con, je vois pas à quoi ça sert, franchement, comprends pas, ça abrutit à peine, ça fatigue et c’est tout, comprends pas.  » Il enchaînait généralement sur un rappel de son parcours d’héroïnomane, nostalgie des vraies drogues, celles toutes teintées de romantisme et de gloire. Gino avait le bla-bla facile, sans être beau parleur.

A côté de ça, c’était un gaillard bien bâti, honnête et travailleur. Jamais drôle, aucun sujet qui ne mérite un froncement de sourcil et une sentence définitive. Pointilleux sur la morale, comme on en trouve beaucoup dans la prostitution.

J’en étais à écraser les morceaux de tabac trop gros pour le mélange quand le haut-parleur a réclamé une fille en piste. J’ai tourné la tête vers Cathy, attendu qu’elle lève les yeux de son croquis, puis j’ai montré mon mélange du menton :

— Ça m’arrange pas trop d’y aller.

Elle s’est levée de mauvaise grâce, mais en se hâtant car le client n’attendait pas.

Je balayais précautionneusement le mélange avec la paume de la main pour tout balancer sur le collage, j’ai entendu des voix dans l’entrée :

— Ciao, ciao, Gino ! Tu as vu ce temps dehors ? Quel soleil ! Ça te réchauffe le bonhomme ça, non ?

J’ai jeté un coup d’œil à la pendule, pas mécontente que l’heure de la relève arrive sans que je l’aie guettée.

Stef a précédé Lola au cagibi, m’a tancée d’un « bonjour » plein de reproches. Elle n’avait rien à me reprocher, mais c’était son mode d’expression.

Les deux filles apparaissaient rarement l’une sans l’autre. Depuis qu’elles travaillaient là, je ne les avais jamais vues se taper sur les nerfs, elles avaient l’entente sereine et à toute épreuve. La loi des contrastes, ou quelque chose comme ça...