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Автор Клод Тилье

Claude Tillier

MON ONCLE BENJAMIN

(1843)

CLAUDE TILLIER – L’Homme et l’Œuvre

 

Je me rappelle mon étonnement, un jour que je demandais à mon ami Auguste Reverdin, l’éminent chirurgien aussi apprécié en France qu’à Genève, quel était son livre de chevet et qu’il me répondit, sans hésitation :

– Mon oncle Benjamin.

– Comment, m’écriai-je, vous avez lu le chef-d’œuvre de Claude Tillier ?

– Je l’ai lu et relu. J’ai fait mieux encore : de la propagande. L’oncle Benjamin est mon cadeau de prédilection. Je l’offre aux personnes à qui je veux témoigner mon estime, ma sympathie, ou simplement rendre une politesse. J’en ai toujours quelques exemplaires chez moi à cette intention. Cela vous surprend ?

Je crois bien que cela me surprenait ! Tillier, mort en 1844, était, hier encore, à peu près inconnu en France, à telles enseignes qu’un de mes camarades, passant dernièrement par Lyon et cherchant Mon oncle Benjamin à la Bibliothèque, où, par hasard, il le trouvait, en coupait lui-même les feuillets jusque-là respectés.

Le volume eût dû être partout et il n’était nulle part ! Il a fallu pour le faire lire par quelques milliers de personnes, l’invitation d’une demi-douzaine d’articles consacrés au pamphlétaire, à l’écrivain, dont la République daignait reconnaître enfin le talent et les services, en envoyant un ministre inaugurer à Clamecy, le monument qu’une piété locale et tardive érigeait à la gloire de Tillier{1}. Mais du moins étions-nous les seuls à l’avoir mise sous le boisseau. L’étranger souriait de notre ignorance. Bien avant la guerre de 1870, l’Allemagne savourait Mon oncle Benjamin, grâce à l’excellente traduction de Pfau, et l’année dernière encore, il comptait plus de lecteurs en Suisse{2}, en Belgique et en Amérique même, qu’il n’en eut jamais en France.

Aussi bien, n’en est-il pas de Tillier comme du comte de Gobineau, pour qui nous nous sommes tout à coup enflammés sur la foi des Allemands et de la Gobineau-Vereinigung ?

Mais on ne nous prend jamais au dépourvu et à l’accusation d’ingratitude quelques voix ont répondu que Gobineau était un grand homme de salons et Claude Tillier un grand homme de province.

Grand homme de province, c’est bientôt dit lorsqu’il s’agit d’un auteur français presque classique… en Allemagne !

Qu’a-t-il manqué à Tillier pour le devenir en son pays ?

Uniquement, peut-être, l’édition populaire à bon marché que nous présentons aujourd’hui au public. Aucun éditeur ne s’est trouvé pour l’entreprendre en France. Une édition de luxe, pour un petit nombre de bibliophiles, à la bonne heure{3} ! Ceux-ci coupant rarement les feuillets des livres, on ne risquait rien ; tandis que l’on risque toujours quelque chose à propager des idées subversives.

Là, sans doute, est la raison d’un ostracisme qu’on ne s’expliquerait guère sans cela, à moins de croire à une pérennité d’infortune qui s’étend, pour certains hommes, de leur destinée sur la terre à la postérité.

L’existence de Tillier fut triste et brève{4}. Elle pourrait se résumer en trois mots : instituteur, soldat, publiciste. Mais l’homme et l’écrivain, le talent et le caractère que nous rencontrons, valent la peine qu’on glane derrière eux assez d’épis pour faire une gerbe.